Eric Carrière (2) : « Bielsa a amené une autre manière de jouer »
DIJON-SPORTnews.fr est allé à la rencontre d’Eric Carrière, ancien joueur du Dijon Football Côte-d’Or. L’ancien milieu de terrain, également passé par Nantes, Lyon et Lens, tire un bilan de la saison écoulée (L1, L2, équipe de France…). Tout au long de l’été, vous pourrez retrouvez les analyses du nouveau consultant phare de la chaîne cryptée. Après avoir évoqué les saisons de Lyon et de Lens, c’est au tour des saisons de l’OM et du PSG.

DIJON-SPORTnews : Tu as suivi la Ligue 1 de près et on voit que la logique a été respectée avec le titre du Paris-Saint Germain. Es-tu d’accord ?
Eric Carrière : Oui clairement ! Paris a les joueurs les plus forts, les plus talentueux. Sur les premiers mois, ils ont eu des difficultés à exploiter leur potentiel. Mais sur la fin de saison, on a vu qu’ils étaient irrésistibles. Ils ont plus de moyens financiers donc ça paraît logique. Mais l’argent n’est pas suffisant, il est nécessaire, encore faut-il jouer en équipe. Et c’est la où les Parisiens ont eu des soucis sur le début de saison. Je pense qu’ils s’attendait à ce que ce soit plus facile. Avec un peu de relâchement et plus de jeu individuel, ils n’ont pas retrouvé l’équilibre qu’ils avaient. Après sur la fin, ils font quand même triplé ou quadruplé si on compte le trophée des champions (sourire). C’est quand même pas mal.
DSn : Cette année, on a constaté un Zlatan en baisse de régime et à l’inverse un Pastore plus performant et constant. Désormais, est-ce que Pastore et Verratti sont les véritables hommes fort du jeu du PSG ?
EC : Il y a des chances. Pour Verratti, je n’ai pas trop de doutes. On sent qu’il est dans l’efficacité et qu’il recherche le jeu même s’il a ce défaut de trop parler et d’être un peu trop virulent avec les arbitres. Malgré cela, il reste très concentré et collectif dans son comportement. Après pour Pastore, il faut espérer qu’il reste dans le bon état d’esprit. À l’inverse de Verratti, il est plus dans le talentueux et être à la recherche du beau geste parfois au détriment de l’efficacité. Mais lorsqu’il est au niveau auquel il a été cet saison, il est vraiment très fort. Maintenant à lui de rester dans ce tempo là. Pour cela, il n’a qu’à prendre exemple sur ce que réalise à nouveau le FC Barcelone.
DSn : En parlant de Barcelone, est-ce que Paris peut avoir des regrets en Ligue des Champions ?
EC : Quand on joue une équipe de très haut niveau ou quand on arrive dans les derniers tours de la Champions League, il faut avoir ses meilleurs joueurs. S’il y en a quelques un de blessés, ça devient compliqué. Et c’est ce qu’a vécu le PSG cette année et le FC Barcelone, il y a deux ans, contre le Bayern Munich. Pour moi, si Paris avait été au complet, il aurait eu une chance.
DSn : Cette année la Ligue 1 a vu débarquer un personnage pas comme les autres : Marcelo Bielsa. Est-ce que sa tactique de prendre beaucoup de risques et jouer le tout pour l’attaque a fait du bien à la Ligue 1 ? Est-ce que cela a apporté quelque chose au championnat ?
EC : Il a amené une autre manière de jouer, une nouvelle réflexion que j’ai analysé d’une certaine manière. Il est sur du marquage individuel tout terrain et c’est quelque chose qui ne se fait plus. Dès lors qu’il joue contre une équipe forte techniquement avec des joueurs intelligents, ils prennent vite le bouillon. Mais on s’est aperçu que contre des équipes plus faibles, ils prenaient le dessus individuellement du coup ça cassait tous les équilibres et ils enchaînaient les buts. Et on ne peut pas lui enlever ce côté spectaculaire mais qui a des limites dès que le niveau s’élève en face.

DSn : Pourtant sur certains gros matchs, ils ont réussi à imposer leur jeu et à poser des problèmes. Mais ils ont à chaque fois craqué physiquement…
EC : Bien sûr. Quand tu fais du marquage individuel, à l’entraînement si tu fais des séquences d’une minute, c’est déjà beaucoup. Alors sur 90 minutes c’est très difficile. Ce qui veut dire qu’à un moment, le mec va lâcher car il perd de la lucidité à cause de la fatigue. C’est pour ça qu’à chaque fois en seconde période, ça peut être plus délicat. Sauf si tu mènes d’un ou deux buts, comme ça a été le cas sur certains matchs. En plus de la lucidité, il y a aussi l’automatisme du travail en zone que tu conserves. Si je suis au marquage individuel sur toi mais je vois que ça passe ailleurs j’ai tendance à me dire « je garde ou j’y vais ». Donc ça, ils l’ont beaucoup bossé et quand même pas trop mal maîtrisé. Mais avec des trucs complètement aberrants comme les latéraux qui jouent au milieu voire devant. Le marquage individuel responsabilise les joueurs davantage que le marquage en zone. Par moments un peu bêtement, mais c’est ton joueur et il faut bosser dessus. Après sur la fin de saison, il a évolué en allant plus dans le sens des joueurs. Son marquage individuel était un peu différent notamment face aux équipes qui jouent avec deux attaquants. Là il a fait monter un axial en faisant resserrer les latéraux, et ça correspond un petit plus à la zone.
DSn : Comme tu le dis il a un peu évolué en fin de saison, mais est-ce que tu penses que Bielsa peut encore faire évoluer son jeu ?
EC : Ce que je trouve hallucinant dans le fonctionnement de Bielsa et que je n’apprécie pas du tout, c’est le mode de fonctionnement en interne qui est très conflictuel, que ce soit dans sa manière d’être ou de communiquer, notamment avec le président. Pour moi un grand entraîneur, logiquement, financièrement il n’a pas de soucis. Donc je considère que si on a un problème, surtout quand on est un grand entraîneur, on est capable d’aller voir un supérieur hiérarchique et dire « ce mode de fonctionnement ne me convient pas. On se sépare à l’amiable ou on applique mon mode de fonctionnement ». Parler dans la presse, par rapport au recrutement en début de saison, c’est pas terrible. Pour moi, un club ne doit pas être dépendant d’un entraîneur car dès qu’il quitte le club c’est difficile. Je pense qu’un club devrait mettre en place une philosophie de jeu, prendre un coach qui soit en phase avec celle-ci et pareil pour les joueurs. C’est ce que font des clubs comme Nantes ou Lorient. Bielsa, s’il correspond à cette philosophie on le prend. S’il s’en va, les joueurs qui seront au club vont convenir au futur entraîneur sauf peut-être 4 à 5% de l’effectif. Mais ça ce n’est pas grave, on les bouge et on prend des joueurs qui correspondent. Un jour ou l’autre, Bielsa va partir mais à l’heure actuelle on a l’impression que le patron c’est lui. On va où ? C’est un salarié, bien sûr qu’il a un rôle important, mais quelque soit le club il ne devrait pas avoir un rôle aussi important. Le club doit être encore vivant quand l’entraineur part. Je trouve que c’est problématique.

DSn : On a évoqué un possible départ de Bielsa, mais est-ce que ceux de Gignac et d’Ayew ne seront pas plus préjudiciables pour Marseille ?
EC : L’une des premières défaites de l’OM, c’est d’avoir ces deux joueurs en fin de contrat. On parlait de 20 millions pour la Ligue des Champions, je pense qu’il y aurait pu avoir un joli chèque de 20 millions pour les deux joueurs. Même en étant encore sous contrat, ils auraient pu trouver preneur. Après je comprends que l’OM n’ai pas pu les prolonger avec des salaires qui existaient depuis trois ans et comme c’est parti à la baisse c’est compliqué. Et ça on peut dire que c’est un petit accident économique comme celui de la quatrième place. Il y a quelques années Lyon a connu des difficultés quand ils ont laissé partir Lisandro ou Lloris et on s’est dit ça va être la catastrophe. Finalement, des jeunes joueurs du centre de formation ont émergé, ce qui n’est pas le cas de l’OM. Dans le recrutement, les jeunes doivent essayer de sortir du lot comme Lémina. Mais ça peut être difficile pour l’OM l’année prochaine.
DSn : En terme de jeu, sur l’ensemble de la saison de Ligue 1, est-ce que tu penses avoir vu un bon championnat ?
EC : Oui complètement ! Le championnat a été serré assez longtemps. Ce que l’on remarque c’est qu’il y a un écart de plus en plus important entre ceux de devant et les 7/8 équipes de derrière. On sent qu’il y a 7/8 équipes qui jouent le maintien, quelques-unes au milieu, et au-dessus c’est assez costaud.