Ultratrail : Bastien Deliau débriefe sa Swisspeaks (366 kms 26500 D+)

Au début du mois le Dijonnais Bastien Deliau, passé notamment un temps par les rangs du Dijon Triathlon a réussi l’exploit de terminer dans le top 20 d’une course hors normes, la Swisspeaks. Après déjà une remarquée 30ème place pour sa première participation l’an dernier, il s’affirme comme l’un des très grands de ces défis. Bastien débriefe pour les lecteurs de DIJON-SPORTnews son aventure extraordinaire sur cette édition 2021
–
SWISSPEAKS 360, mon débrief !!
Course d’ultratrail, il s’agit de la traversée intégrale de la vallée du VALAIS en Suisse, depuis le glacier à l’origine du Rhône jusqu’au lac Léman ; une belle traversée de 366 kms et 26500 M de dénivelé positif (ça monte) et 27500 m de dénivelé négatif (ça descend).
L’ultratrail, ce sont des courses de distances supérieures à 80 kms, avec fort dénivelé, dont les distances les plus réputées sont le 170 kms (100 miles américains) et supérieurs à 300 kms (200 miles américains).
Quant à moi, je suis un habitué des courses au-delà de 100 kms, et j’ai déjà connu une partie de ce parcours l’an dernier, sur une course raccourcie à 315 kms.
Le 29 AOUT, j’ai donc pris le départ de la course à OBERWALD, tout au fond du Valais !
Le programme est effrayant : plus de 10 montées de 1000 m de dénivelé en continu, autant en descente, plusieurs dépassant les 1500 m et jusqu’à 1800m en descente !
A titre de comparaison, c’est comme si on allait 50 kms après Paris depuis Dijon, en devant monter 10500 étages, en descendre autant , et le tout dans le temps maximum de 156 h !
Mon objectif est de réaliser la traversée en 115 h maximum, soit 75 kms et 5500 m de dénivelé par journée de 24h (soit 2200 étages quand même !).
–


–
La course prévoir une 30 aine de ravitaillements, et 5 bases vie, lieux dans lesquels on peut manger, dormir, se faire soigner, se doucher.
Je suis assisté par Aline, ma femme, qui viendra me voir à chaque base vie, soit environ tous les 50 kms.
La course commence bien, même si je manque de jus, mal aux jambes, mal aux bras, on va attendre que ça aille mieux !
Les premières bosses défilent, on monte en marchant vite, dans une ambiance minérale et de haute montagne (on est à plus de 2500 m d’altitude ), les descentes, en courant sont gérées prudemment avec les bâtons ;
Arrivé à la base vie de FIESCH, je mange, me change et repars vite, après un arrêt de 45 min.
C’est là que tout se dérègle : grosse inflammation du releveur du pied (un tendon vers la cheville) au 80 è km ; cela devient problématique, surtout quand il reste 280 kms à courir !
D’habitude, j’arrive à faire passer ces douleurs assez vite par des habiletés mentales, mais là rien à faire, j’arrive avec le moral en berne à la 2ème base de EISTEN (KMS 104), où je suis aux portes de l’abandon.
Aline me réconforte, je me douche, mange, vais voir le physio (c’est comme ça qu’on appelle le kiné en Suisse) qui me pose des tapes et me donne des exercices à faire pour soulager genoux et chevilles.
Après une sieste de 1h, je repars tant bien que mal.
–





Au ravito suivant (114 kms), j’ai encore trop mal ; je reste 1h sur place, après avoir vérifié que Aline pouvait venir me chercher en voiture…. J’arrête ou je repars, au risque d’être planté en montagne ?
J’hésite, et ma décision se prend sur 2 mots d’un concurrent, un SMS reçu, bref, des signes qui m’ont aidé à repartir….
A partir de ce moment-là, que la décision a été prise, la course devient différente : la douleur existe mais s’estompe dans ma tête, le travail mental est important pour gérer !
Les ravitaillements se succèdent, raclettes, bonne humeur, petits soins ! en restant vraiment à l’écoute des douleurs cheville et genoux présentes.
L’envie de dormir est tout le temps là : ces courses sont difficiles à appréhender, car on a envie de dormir, mais on ne peut pas prévoir de nuits complètes ! je dors en base vie, 1h, une fois 3h, sur les chemins ou sur un banc, par tranche de 15 ou 30 min.
Le format des 300 kms est différent des autres sur le sujet du sommeil : les meilleurs dorment 15 min sur 3 jours, quant à moi, je finirai avec 7h de sommeil sur tout le périple.
Je rencontre plusieurs compagnons pendant la course, parfois sur un temps court, mais qui permet d’échanger, parfois plus longtemps, comme avec Fabien le Breton, avec qui je fais la majeure partie de la seconde partie de la course.
Il faut imaginer ces nuits étoilées en haute montagne, avec la lampe frontale à progresser en discutant parfois, en anglais avec les étrangers (34 nationalités présentes sur la course), ce sont des moments irréalistes et tellement riches !
Le parcours est très technique, avec des blocs, des rochers, des racines, il faut être vigilant, avec le sommeil et les hallucinations qui peuvent arriver : moi, je vois des inscriptions au sol, et des gens partout dans les bois, qui se révèlent être des branches ! l’expérience est intéressante !
Avec Fabien, on décide dormir 3h à la base vie de FINHAUT (kms 268) ; sieste réparatrice, après une douche et un repas qui nous rappellent que, finalement, on n’a pas besoin de grand-chose pour être heureux quand on a vraiment besoin de se réconforter.
–




–
Je repars seul, et en forme, je double des coureurs, parfois épuisés car en manque de sommeil, parfois en souffrance avec une blessure, mais toujours admirables de courage et de volonté.
L’ensemble de la course est très solidaire, l’effort étant immense : les coureurs entre eux, les bénévoles qui sont adorables et aux petits soins pour nous et les suiveurs.
Arrivé à la dernière base vie des CROSETS (kms 310), je fonds en larmes d’émotion, car je sais que maintenant, à 50 kms de l’arrivée, je vais finir, et je suis très ému !
Les derniers 50 kms se passent très bien : en forme, plus de douleurs, on a hâte d’arriver sur le lac LEMAN !
J’arrive au petit matin, la fin se fait sur les quais du lac, et je peux savourer les derniers mètres, et mesurer le projet que je viens de réaliser … quelle satisfaction !
J’arrive au soleil levant sur les rives du lac à 6h38, après 114h38 d’effort, à la 18ème place sur 320 partants, en ayant dormi 7h en tout ….
Loin de tomber de sommeil, nous restons avec Aline pendant plusieurs heures pour accueillir les copains qui arrivent au compte-goutte, les écarts sur ces distances pouvant être de plus d’une heure entre concurrents !
Après 1 bonne journée de repos (et une grosse raclette), nous sommes invités à la cérémonie de félicitations des finishers le dimanche, un moment d’apothéose dans ma vie de coureur !
Mon résultat m’encourage à persévérer sur ces formats très longs, qui nous font vivre des moments incroyables de partage, de rencontre, et me permet de connaître mon corps de mieux en mieux, et d’appréhender et gérer les réactions et alertes qu’il envoie.
Ce sport est au-delà de l’aspect purement sportif, il est nécessaire de maîtriser les paramètres tels que le sommeil, l’alimentation, la gestion des douleurs et blessures, et de travailler son mental…
Et vivement la prochaine !
–





